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Contes Spalliens : Chapitre 50 - Le réveil de la bête

La première chose qu'il sentit fut la douleur, ou plutôt son absence. Là où avant il n'y avait qu'une douleur si intense, si pure, que rien d'autre n'arrivait à sa conscience, il n'y avait désormais qu'un vague sentiment de malaise mal défini.
Physiquement, il allait bien. C'était encore un peu flou, mais il se sentait bien, au chaud, bien que très fatigué. Quelque chose clochait cependant, mais rien à faire, il n'arrivait pas à mettre la main dessus.

Il fini cependant par ouvrir les yeux. Outre la fatigue, il avait faim, il lui fallait se mettre en quête d'une proie.
Comme pour ses sensations corporelles et ses souvenirs, sa vue était d'abord floue, lui permettant que de capter une lumière douce, tamisée. Puis, rapidement, il arriva à faire le point et il aperçut les barreaux devant lui, au-dessus de lui, tout autour de lui.

On avait apparemment réussi à l'enfermer dans une cage énorme car, même pour lui, elle était vaste, il pourrait même y faire quelques battements d'ailes sans se cogner aux barreaux.
C'était inconcevable. Même par magie on ne pourrait pas créer un ouvrage aussi imposant, et même si c'était possible, cela demanderait un investissement et une dépense de moyens que personne ne pouvait se permettre juste pour le garder prisonnier. Même les dieux ont mieux à faire.

Il essaya de déplier ses ailes et les regarda. Elles avaient l'air en bon état et ses plumes étaient propres? Des plumes? Il n'avait pas de plumes? Il avait de grandes ailes membraneuses, comme tous les dragons.

Il essaya de se mettre debout, mais trébucha et tomba la tête la première, incapable de s'appuyer sur ses pattes antérieures. Il se releva de suite en ne se servant cette fois-ci que de ses pattes arrière. Cette position lui parut anormalement stable, il aurait dû être légèrement déséquilibré.
Il essaya de regarder ce qui n'allait pas avec ses pattes avant, si elles étaient attachées ou abîmées, mais il ne les trouva pas !
Il n'y avait ni moignon, ni même une trace de blessure, il n'avait simplement pas de bras. De plus, il n'arrivait plus à se servir normalement de son cou, en passant sa langue sur les bords de sa gueule, il ne trouvait plus de dents et même sa langue ne semblait plus bifide?

Il jeta un regard paniqué autour de lui, et remarqua enfin, derrière les barreaux, les rangées de livres, les étagères, un tableau quelconque sur le mur opposé, le lit dans le coin et la fenêtre à travers laquelle passait une faible lumière de jour nuageux.
Comme un dessin abstrait qui fait soudain sens, tout lui parut soudainement évident.

On l'avait transformé en oiseau et enfermé dans une cage tout ce qu'il y a de plus normal dans une petite chambre banale?

Cette prise de conscience, au lieu de l'accabler, lui permit de redonner du sens à tout ce qui l'entourait.
Il effectua rapidement le tour de sa cage, qui bien que confortable et pourvue de tout, n'en était pas moins petite, maintenant qu'il avait à peu près repris notion de la taille des choses. Elle était posée sur une table basse, assez large, sur le rebord de laquelle on avait posé, ouvert, un ouvrage sur la métamorphose. Ce n'était pas un ouvrage de magie à proprement parler, bien qu'il y en ait sur les étagères proches, mais un recueil d'observation sur le comportement des sujets soumis à des métamorphoses involontaires, victimes de malédiction, ou autre.

La page affichée était plus ou moins la conclusion d'un chapitre et indiquait que souvent, quand la métamorphose était brusque, inattendue et entraînait une perte de connaissance, la victime s'adaptait mentalement à la nouvelle forme et se comportait comme si elle était de naissance dans le corps qu'on lui avait imposé par magie.
L'intellect de la victime et son ego entraient bien sûr en ligne de compte.

La lecture de cette page et le retour de ses souvenirs récents permirent au dragon de décider de sa ligne de conduite.

La taille n'avait pas d'influence sur la puissance d'un magicien, il le savait, mais la magicienne qui l'avait emprisonné lui avait paru bien petite et bien insignifiante, en tous cas plus que les autres humanoïdes qu'il avait croisés. Elle devait donc être jeune pour ceux de sa race, et une telle puissance ne venait normalement qu'avec le temps. Elle était aussi incroyablement chanceuse, pour réussir à lancer de manière effective deux sortilèges à la suite sur un dragon adulte, qui ignorait la plupart des effets magiques, même puissants.

Deuxièmement, il était encore en vie. Quand il avait senti sa raison se faire emporter par la douleur, tout ce qu'il avait pu espérer, c'était partir dans un magnifique et sanglant orage électrique, mais on lui avait offert une rallonge de vie en le transférant dans un corps dépourvu de Souffle.

Enfin, la magicienne n'avait pas profité de sa victoire pour en finir avec lui, c'était un état d'esprit qu'il avait du mal à cerner : inconscience, ignorance, pure bonté d'esprit ?

Il se résolut donc à jouer la mésange bleue décérébrée pendant au moins quelques temps.

Dvorak

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