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Lost People : Providence : 13 - L'oeil du cyclone (01h30)

Kahoon

Je me pose cinq bonnes minutes contre un mur pour reprendre mon souffle. Ma poitrine va exploser. Il y a tellement de sueur au fond de mes rangers que j'ai l'impression que le fleuve a débordé et que je suis bien au fond. Je lève les yeux vers le ciel : les nuages sont tous noirs et menaçants. Je vois double : alcool, fièvre... A cette heure-ci, je sais plus. En fait, j'ai du mal à aligner deux idées. J'espère vraiment qu'il va bientôt pleuvoir : je me sentirais peut-être moins poisseux.

L'ancien parc d'attraction est tout proche maintenant. La silhouette délabrée de la grande roue se détache sur l'horizon couvert. Des cabines manquent, des rayons sont cassés, à se demander comment elle tient encore debout. Ca fait belle lurette que le parc est fermé au public, la faute aux promoteurs véreux qui ont chipoté sur la sécurité. S'ils s'en étaient souciés, il n'y aurait jamais eu d'accident. Tout ça n'empêche pas les gangs de gamins d'y aller bien sûr...

Le hangar est au bout de la rue. J'ai juste besoin de cinq minutes : je récupère le peu de tunes que contient le carton et je peux quitter cette ville ! Adieu la City et son cortège d'emmerdes ! Je ne sais pas trop où je vais aller. De toute façon, je prendrais le bus le moins cher et qui m'emmènera le plus loin. On verra bien où ça m'amènera. Je passe par les ruelles mal éclairées pour éviter d'être visible.

La gigantesque porte métallique donne au hangar un aspect de monstre à la bouche béante. Une porte à taille humaine est taillée dedans, comme une énorme carie. J'arrive à son niveau pour m'apercevoir que la serrure a été forcée depuis ma dernière visite. La porte est entrebâillée. Je la pousse avec un léger sentiment de malaise...

Personne.

Je sors le fusil à pompe. Je m'enhardis et rentre une jambe, tout en observant attentivement le décor. Pas un bruit, ça en devient presque oppressant. Je retiens ma respiration, scrute partout. A première vue, rien de bien nouveau : des caisses et une couche d'au moins dix ans de poussière. Par contre, les traces de pas dans la poussière, ça, c'est nouveau ! Je vais pour ressortir quand un objet froid et cylindrique se pose sur ma nuque. Je suis secoué par un frisson et soupire un grand coup : toute cette histoire (toute mon histoire) touche à sa fin. La voix de Snake (froide comme une lame) :

« Un seul mouvement et je repeins cette porte avec l'intérieur de ton crâne. »

La pression sur ma nuque se fait plus forte, me pousse vers l'intérieur. Tous mes « potes » sortent de derrière les caisses. L'impression d'être au milieu d'une meute de chiens d'Afrique (les hyènes, je crois) que j'ai vue en zappant à la télé y a pas longtemps. Si je me souviens bien, ils frappaient aux pattes et au ventre et laissaient leur dîner se vider de son sang et s'épuiser. Une fois à terre, le repas était servi (toujours vivant). Ouais, une bonne comparaison : de vraies hyènes, mes « potes ».

« Mets-toi à genoux, fils de pute. T'as 30 secondes pour expliquer toute la merde que t'as faite ! »


Luiggi

« Oui, Monsieur, nous venons d'arriver. Je vous rappelle dans 10 minutes pour vous tenir au courant de la suite des événements. (Je raccroche.) Bon, les gars, pas besoin de s'enflammer. Ce sont des petites frappes, il doit y avoir moyen de récupérer ce pourquoi on est là sans avoir à se servir de nos flingues. Sortez-les quand même et si je claque des doigts, vous flinguez le premier qui moufte, compris ? »

Je détaille la demi-douzaine d'hommes sous mes ordres. Pas des rigolos. Tant mieux, vu que ce petit bâtard de « Snake » (pas très original, comme surnom...) traite avec Dos Santos, pas besoin d'une ballerine comme Vito ou d'un demeuré comme Marvin. Je jette ma clope et referme ma veste malgré la chaleur étouffante : les auréoles sous les bras, on a vu mieux pour impressionner. Je les laisse rentrer tranquillement et je m'engouffre à leur suite, une fois sûr qu'il n'y a pas de témoins éventuels dans la rue et (surtout) qu'ils ne sont pas accueillis par des balles. L'oubli de mon pare-balles me met mal à l'aise.

« Bien, je vois que je n'ai pas loupé la petite fête ! Salut, Martin ! Alors t'es devenu 'leader' il paraît ? »

Les cinq premiers mètres du hangar sont dégagés. Mes hommes ont pris place, les flingues bien en évidence, un oeil partout. Je ne m'étais pas trompé : des pros. Je profite du flottement pour détailler la scène. Martin et ses potes (une douzaine) entourent un type qui s'est fait tabasser un bon moment : crâne rasé, un manteau tâché de sang par-dessus un jean qui a dû faire la guerre du Golfe (la première), une pommette explosée et une arcade fendue. Un de ses yeux a triplé de volume et s'est paré d'une couleur violacée et du sang coule de sa bouche ouverte (deux dents en moins)... Pas très reluisant, le garçon. A priori, le fameux Kahoon dont Rainfield m'a parlé. L'accrochage avec les Mexs ne devait pas être prévu. Je me retourne vers ce petit péteux de « Snake », bien caché au milieu de ses potes, qui devient livide comme la mort. Bien, il a compris à qui il avait affaire. J'ai déjà croisé ce petit trou du cul auparavant. Ma première impression me revient avec la force d'une balle : un vrai serpent. « Snake »... Amusant. Même son aspect a quelque chose de reptilien : assez fin, des mouvements presque trop fluides. A part ça, des petites choses dénotent que c'est un petit malin qui a vu trop de films et se croit plus intelligent qu'il ne l'est : son soudain coup de speed quand il m'a vu entrer, ses cheveux verts de 5 mm, son visage trop juvénile (20 ans tout au plus), un baggy noir de saleté et un débardeur qui a dû être blanc dans une autre vie. Et puis, il ne faut pas être bien malin pour entrer au service de Dos Santos en échange de la mort d'Andy, le chef de son gang. Ray était un salopard rudement ordonné : dans son coffre, il gardait une espèce de journal où il consignait ses journées. Ajoutez à ça tout ce que nous a lâché ce cher James et les infos de quelques contacts et tout devient plus clair. Seul le pistolet à sa ceinture et sa possible emprise sur ses potes en font quelqu'un de dangereux.

Ce que je cherche est à ses pieds : un vieux sac de l'armée, rempli de formes verdâtres et oblongues. En arrière-plan, de gigantesques caisses de bois trônent un peu partout, sous des bâches recouvertes d'une couche de poussière antédiluvienne, comme des reliques d'un autre âge. Mais le plus frappant, c'est le capharnaüm d'objets disséminés sur le sol, sur une épaisseur parfois impressionnante. Tout ça devait appartenir au Parc : des costumes d'hommes animaux, des bouteilles de gaz, un stand de frites, des cibles criblées de plomb, de grandes constructions métalliques qui ont dû faire partie d'un grand huit. Des balles aux couleurs délavées parsèment le sol et font penser que le contenu d'une piscine à boules a dû se déverser ici il y a longtemps... Il y a même une épave de navette spatiale poussiéreuse ! Une statue de clown rongée par l'humidité me renvoie mon regard. Dur de se cacher là dedans, à moins d'être une taupe. Par contre, sur les caisses, il est possible qu'il y ait du monde. J'avise une échelle et la désigne à un de mes gars. Je tourne le dos à Martin et sa clique pour me diriger vers le type à la gueule ravagée, pendant que mon subalterne entame son ascension.

« Ben, mon pote, qu'est-ce qu'ils t'ont mis ! (Je m'accroupis devant lui et, sans même regarder ce connard de Martin, lui dis :) Ca fait combien de temps que vous le démontez ce pauvre gars ?
- Même pas cinq minutes, Monsieur Gualterri. »

Je tourne la tête pour le regarder maintenant. Je ne dis rien. Pas besoin, autant laisser planer l'info : je suis Luiggi Gualterri, le sottocappo du Don. 'Son second' dirait un de ces porcs. Je me demande si l'un d'eux osera dire ça en face de moi. Je ne peux réfréner un petit sourire.

« Bien, maintenant que les présentations sont faites, mon petit Martin, parlons de choses sérieuses... J'imagine que tu sais à quoi je fais référence.
- Les grenades ?
- T'as tout compris, mon grand. C'est gentil d'épargner la salive de quelqu'un dont le temps est aussi précieux que le mien. Alors, maintenant raconte : est-ce que je vais devoir laisser mes hommes s'expliquer avec tes copains ou est-ce que tu vas nous les filer gentiment ? »

Il y a comme un froid dans l'assistance depuis que mon nom a été mentionné. Mais Snake n'a pas aussi peur qu'il le devrait. Ma main à couper qu'il y a anguille sous roche. Je fais un clin d'oeil à Kahoon avant de me redresser.

« - T'es pas très vif comme garçon... Ou t'as trop de choses qui te passent par la tête, peut-être ? Tu te crois intelligent, Martin ? Traiter avec des cholos, c'est tes oignons. Mais racheter à Dos Santos les grenades qu'il nous a volées, là, tu commences à m'ennuyer, petit.
- SHOOT !!!!!!!!! »

Dans un mouvement presque coordonné, les gangers de Martin tirent une pluie de balles sur nous. Mes hommes s'effondrent, en même temps que quatre des leurs. Je suis debout. Je n'ai rien ! Martin sort son flingue aussi vite que moi. Mon flingue est pointé sur le coeur, celui de Martin en plein sur ma tête. Nous restons les yeux dans les yeux, tandis que mon dernier type tombe avec un bruit mat du haut de son échelle. Ses potes reportent leur attention (et leurs guns) sur moi. Ca pue méchamment : il est temps d'abattre mon atout maître si je veux m'en sortir. Je parle suffisamment fort pour que tout le monde puisse m'entendre :

« Alors, Martin, traiter avec Dos Santos te suffit plus ? Avoir buté Andy non plus ? Tes potes sont au courant de la façon dont t'es devenu « leader », au fait, rassure moi ? »

Quatre des types n'ont pas l'air surpris. Par contre, un black avec des dreads gigantesques beugle un « what the fuck ?!! » retentissant. La fille à côté de lui fusille Martin du regard. Leurs flingues ne visent plus ma tête. Même si le rapport de forces n'est toujours pas franchement à mon avantage, le vent commence à tourner. Le visage de Martin se déforme sous l'effet de la rage. La scène se ralentit. Je presse la détente trop lentement. Une fleur aux pétales de flammes apparaît brièvement au bout du canon de l'arme de Martin. Un choc énorme me frappe aux côtes. Mon bras dévie sous l'impact quand je sens (vaguement) le recul de mon coup de feu. J'ai le temps de voir un type s'écrouler en beuglant quand tout devient noir.


Kahoon

Le rital s'effondre. John se met à hurler comme un fou. Un flot de sang gicle de son ventre. Il gigote par terre. Le sang éclabousse le sol, comme celui du porc que j'ai vu se faire saigner à la ferme de mes grands-parents quand j'étais tout gosse. A l'époque, je m'étais enfui en pleurant. Il me semble que j'étais resté caché pendant deux jours dans la forêt à côté. J'en garde de sales souvenirs. Des impressions confuses de chaleur moite et l'odeur métallique du sang. Je reste hypnotisé par le liquide qui prend une teinte dégueulasse en se mélangeant à la poussière. Martin tente de calmer ses troupes :

« Sean, Eddy! Emmenez moi ces cadavres dehors ! Prenez John aussi. Va falloir qu'on l'amène rapidement chez le Doc.»

Ce Gualterri devait être sacrément important. Un vieux en tout cas : au moins quarante balais. Et exactement le look du mafioso : le costard à la Reservoir Dogs et les manières old school du type qui se croit toujours à l'époque du Godfather tout-puissant. Il me faisait un peu penser à Joe Pesci : assez petit (Snake le dépassait d'une bonne tête) et pas très baraque mais charismatique. Très nerveux aussi, au vu de ses grosses cernes ou de ses traits marqués. Il avait pas dû dormir depuis un an ce type. Il a débarqué comme un ange, avec des types en costard plus armés que dans un film de Bruce Willis. Snake en a presque fait dans son froc. Pendant un instant j'ai même cru qu'ils étaient venus le descendre, que cet enfoiré allait devoir payer pour tous ses coups de pute et toutes ses conneries (et dieu sait qu'il doit y en avoir un paquet). Mais la justice existe pas dans la City. Faut se bouger d'au moins quelques centaines de bornes avant de la voir...

Je vais crever ici par la faute du meurtrier de mon meilleur pote... Ce ver a même pas été capable de faire ça tout seul. Il aura fallu qu'il aille lécher le cul d'un de ces putains de cholos ! Ce Dos Santos, j'en ai entendu parler : pas un tendre. Pas un gars loyal non plus. Je ne sais pas combien de cadavres de types qui bossaient avec lui sont au fond du fleuve, mais, d'après la rumeur, certains alligators des marais resteraient toujours dans le sillage de son bateau... On l'a même appelé Crochet, à cause qu'il traînerait les gars accrochés au bout de son bateau avant de les abandonner à ces saletés de crocos... Bon, pour le surnom, j'ai aussi entendu dire que c'est un ancien boucher et qu'il aurait refroidi un gars venu le racketter avec tout ce qui lui tombait sous la main, dont le fameux crochet. Maintenant savoir quelle version est la plus proche de la vérité... J'dois dire que j'm'en tape. Je suis en sueur. Je me suis pas lavé depuis deux jours. Je pue. Je rêve d'une douche. Et pour ça, il faudrait que je sorte de ce putain de traquenard.

Je regarde autour de moi à la recherche d'une retraite possible. Je suis venu un nombre incalculable de fois et je n'ai jamais pensé à faire le tour de cette saloperie de hangar. Je me souviens que la porte n'est pas très loin mais à cette heure-ci elle a l'air d'être à au moins dix bornes de moi. Quel con je fais ! Bordel, ça m'aurait pris combien de temps de voir où était la sortie de secours ????!!! P'tet 10 minutes ? Quel con ! Mes yeux s'arrêtent sur des lettres gigantesques abandonnées dans le bordel ambiant. Elles forment le mot « PROVIDENCE ». Je crois que c'était le nom du parc. Super ironique à cette heure ci... Je me mets à rire silencieusement, par spasmes... Des larmes brûlantes coulent sur mes joues, traçant des sillons acides dans la crasse et le sang séché.

L'espace d'un battement de paupière, je ne sens plus la chaleur. Le brouillard s'estompe. Je me sens plus clair que je ne l'ai jamais été ; et je vois mes « potes » tels que je me suis toujours refusé à les voir. Leurs têtes m'apparaissent sous leur véritable jour : celles de ces putains de chiens d'Afrique. Ils tournent leurs regards de fous vers moi. Leur rire me vrille les oreilles. Puis la douleur se réveille, crispant tout mon corps d'une onde glacée. Chaque os de mon corps me fait mal. La douleur reflue, remplacée par une sensation anesthésiée, comme si j'étais à poil au milieu d'un champ de coton.

J'entends plus grand-chose à cet instant. En fait, je vois plus très bien non plus avec tous les pains que je me suis pris dans la face. Comme un voile devant les yeux, surtout devant le gauche. Leurs visages redevenus normaux, Sean et Eddy se bougent et commencent à sortir les corps. Martin et Will sont en train de s'engueuler sévère avec Bobby et Cherry (la copine de Bobby). Je suis pas certain mais je dirais que c'est à propos de la mort d'Andy, de la présence du rital et de cette histoire avec Dos Santos. P'tet les trois en même temps... Je comprend pas grand-chose à ce qui se dit. Par contre, j'aperçois très bien le sac. Les dernières personnes présentes se sont complètement désintéressées de lui et de moi. Je commence à m'avancer au jugé, le plus lentement possible. Difficile de faire plus rapide, de toutes façons, vu mon état : j'ai des vertiges dès que je bouge d'un centimètre. La dispute s'envenime. La voix de Cherry monte au suraigu quand j'atteins le sac. Une détonation perce le brouillard qui m'entoure et me vrille les oreilles, pile au moment où je chope une grenade.

Je tourne la tête pour voir Martin tomber à terre en se tenant les tripes. L'instant d'après, il vomit du sang pendant que Cherry tire une balle à bout portant dans la tête de Will avec un air sadique et satisfait. Un liquide chaud et poisseux me gicle au visage avec la force d'un coup de fouet. Bobby pointe son flingue vers moi, juste quand je dégoupille. Il s'interrompt net, la main sur le bras de Cherry. La sueur et le sang me coulent dans les yeux. Je prends bien mon temps pour m'essuyer en prenant soin de ne pas lâcher la grenade dégoupillée. Bobby est tendu comme une corde de piano. J'avale ma salive lentement et péniblement, puis parviens à marmonner :

« - Alors, bâtard, on fait moins le fier ?
- T'excite pas, Kahoon. Regarde autour, tous ces cadavres. Tu crois pas que c'est le moment d'arrêter le massacre ? (Il avale sa salive.) Allez, va lâcher ça dehors. Après, on se pète vite fait. Qu'on puisse recommencer comme avant, sans ce mytho. Fais pas le con, Kahoon ; l'aurait pas voulu ça, Andy. »

Non, il aurait pas voulu crever comme un chien, non plus !!! Ils savaient tous que c'était Martin qui l'avait buté !!! Et ils n'ont rien fait !!! Ce bâtard de Bobby l'a refroidi juste pour s'en tirer !!! Je me mets à hurler :

« Tu crois ça, fils de pute !!! Tu crois que vous allez pouvoir me niquer à la première occasion, bande de hyènes ???? »

Je lâche la grenade bien au dessus du sac. Je relève la tête avec un grand sourire et éclate d'un rire de dément, qui résonne dans tout le hangar. Bobby ne bouge pas quand Cherry commence à se péter en courant. Il a l'air hébété ; il vient de comprendre que c'était trop tard. Courir ne peut plus les sauver.


Luiggi

Une gigantesque gerbe de flammes embrase mon champ de vision, puis une douleur aiguë me vrille les oreilles. Un souffle brûlant se répand dans l'air. Je sens distinctement des cloques se former sur ma peau. Une fois l'atmosphère redevenue respirable, je retire mes mains de mes oreilles, poisseuses de sang. Tous les bruits de la nuit ont laissé place à un sifflement continuel, comme si j'étais resté toute la nuit à côté des baffles du Blue Angel. Le feu continue à rugir dans l'air moite, consumant les restes de la structure dévastée du hangar. Je promène un regard hagard sur les éclairages de la Zone Industrielle et de l'autoroute toute proche, les manèges délabrés du Parc d'attractions...

Mon attention revient sur mes aimables fossoyeurs. L'un d'entre eux (celui que j'ai plombé) est étendu à terre avec un bloc de béton à l'endroit où devrait logiquement se trouver sa tête. Le second se tord sur le sol, tentant d'empêcher ses entrailles de se répandre autour de l'éclat de métal qui lui a ouvert le ventre. Le dernier a l'air hébété, fixant son compagnon agonisant. Il ne semble souffrir que de brûlures légères. Il a toujours son revolver dans la main. Je le fixe avec toute la vigilance dont je suis capable. La tension accélère les battements de mon coeur, ma poitrine me lance. Je réprime un gémissement de douleur, la peur au ventre. Cette sensation ne me manquait décidément pas. Je sors mon calibre de son holster. Je l'arme avec toute la délicatesse que j'ai pu refuser dans toute ma vie à mes femmes, mes maîtresses ou la moindre des filles avec qui j'ai pu coucher. Je vise le type en tremblant. Pour un peu, je me ferais honte. Enfin si je ne jouais pas ma vie comme un vulgaire ganger. Je parviens enfin à calmer suffisamment le tremblement. La détente ne m'a jamais semblée si dure, le flingue si lourd. Le recul m'arrache un gémissement. Le type s'effondre.

J'ai une espèce de rugissement de triomphe, malgré la douleur. Fallait pas enterrer Luiggi Gualterri aussi facilement, bande de petits cons : j'avais la baraka, ce soir ! Putain, il fallait au moins une explosion comme celle-là pour me tirer d'affaire. Mais comment j'ai pu oublier mon pare-balles ??? Heureusement que c'était des guignols. Martin m'a impressionné par contre. Un peu moins de confiance en ses potes et il aurait pu rapidement devenir quelqu'un.

Je me relève tant bien que mal à la lumière du bâtiment en flammes. On y voit presque comme en plein jour. J'ai un pincement au niveau du coeur à chaque fois que j'inspire. Une ou deux côtes cassées, je dirais. Je prends le temps d'inspecter la région où j'ai pris la balle. Je n'ai pas eu le temps de m'en inquiéter avant. La balle est allée se ficher dans la poche de ma veste de costume. Le caillou qu'y a glissé l'indien l'a arrêté. L'indien... Sûrement celui de Waterfalls. Ce qui me frappe maintenant, c'est que je ne sais rien de lui. Il doit avoir des trucs à cacher. Ben mon pote, je crois que j'ai une dette envers toi. Je prends un certain champignon dans ma poche et le porte à mes lèvres. Une goutte d'eau s'écrase sur ma main au moment où je l'avale. Je relève la tête. Les gros nuages noirs ont enfin décidé de s'éventrer. Une pluie fine commence à s'abattre sur les flammes. L'incendie commence à mourir. Le sang se dilue. L'atmosphère devient même respirable. Je m'éloigne pas mal en prévision de l'affluence de flicaille imminente, puis téléphone rapidement à un type pour qu'on prévienne le Don et qu'on vienne me chercher. Difficile de savoir si on se fait comprendre quand on n'entend plus rien. Je m'assois en prévoyance de la défonce et reporte mon attention sur la ville.

Luxuriante jungle de béton. Corrompue jusqu'à la moelle. Un endroit pour des gens comme moi. D'une autre trempe que des « Snake » ou des Kahoon. La City serait presque belle à cette heure-ci, sous la pluie. Comme une magnifique fleur vénéneuse.

(scape)GO@T

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