Interview réalisée lors de Japan Expo 2007, le dimanche 8 juillet 2007 (lire le compte-rendu).
Guillaume Dorison, créateur et responsable de
Shogun, nous a accordé un peu de son temps pour nous présenter la nouvelle vague française.
yadana, pour TSD : Comment est né Shogun ? A la base, Les Humanos [Les Humanoïdes Associés] c'est de la BD franco-belge. Comment vous est venue l'idée ?
Guillaume : Comme pour la plupart des éditeurs. Glénat et Dargaud, ce n'est pas du manga non plus. Les Humanos était le dernier gros éditeur à ne pas faire de manga, pour la simple et bonne raison que, depuis une trentaine d'années, notre politique était de ne pas faire d'achats de droits, ce qui a forcément limité la part du manga. Mais on avait quand même beaucoup d'auteurs qui avaient envie de travailler et de créer dans un nouveau format. Donc c'est sur leur impulsion qu'on a eu envie de créer une sorte de troisième voie de la BD. Finalement, ce n'est pas du manga japonais, ce n'est pas non plus de la BD franco-belge, c'est encore autre chose. L'idée, c'était de faire de la création dans un format proche de ce que propose le manga aujourd'hui au Japon.
Donc c'est une reprise du format, des codes narratifs peut-être, mais à la sauce française.
Il y a moins de 10 % d'auteurs français dans la collection Shogun, donc "sauce française" ça serait réducteur vis-à-vis des autres. Il y a des Chinois, des Japonais, des Américains. C'est juste qu'on fait de la création, comme n'importe quel éditeur japonais. Disons plutôt que c'est de la BD au format manga, produite en France et pas au Japon, et forcément avec une culture globalement plus européenne. Mais effectivement, il y a aussi certaines BD sous influence ; et dans ces BD-là, comme BB Project, on voit que c'est des codes parfaitement intégrés. Les auteurs ont pris ce qui les intéressait dans le manga, le format, les possibilités de narration, etc., mais restent sur leurs influences européennes pour faire encore quelque chose d'autre. C'est vraiment diversifié, comme le manga d'ailleurs, qui ne se limite pas à Naruto et à Dragon Ball. Le manga est diversifié avec une culture logiquement japonaise, nous on est très diversifiés avec une culture logiquement européenne.
Comment sélectionnez-vous vos auteurs et les projets qui sont publiés ?
Soit les auteurs nous démarchent directement, soit c'est nous qui démarchons les auteurs en les remarquant sur des salons, sur des sites internet, des choses comme ça. Souvent, c'est des dossiers qu'on nous envoie, ou des propositions de projets d'agents partout dans le monde.
Et c'était prévu dès le départ que ce soit des auteurs de différentes nationalités ?
Clairement. La BD n'a, je pense, pas de nationalité. On le voit d'ailleurs dans la franco-belge. Chez Les Humanos, il y a énormément d'étrangers et ça pose de problème à personne. On n'achète pas un manga pour sa nationalité, enfin, jusqu'à preuve du contraire.
Il y a beaucoup d'auteurs qui publient sous un pseudo. Je n'avais pas remarqué que ce n'était pas que des Français.
Finalement, peu importe qu'ils soient pakistanais, irlandais, sri-lankais, ... Il y a beaucoup de projets franco-espagnols, franco-italiens, il y a pas mal de mariages en fait.
Connaissant les difficultés du marché de la prépublication (il y a eu l'arrêt du Shonen de Pika, de Magnolia, de Tokebi Génération), qu'est-ce qui vous a motivé pour lancer le magazine, et si c'était à refaire, est-ce que vous le referiez ?
La preuve qu'on le referait, vu qu'on vient de le scinder en deux et qu'on va bientôt le scinder en trois. Donc si c'était pas à refaire, au bout d'un moment on se serait quand même arrêtés. Je pense que c'est la preuve la plus évidente qu'on a eu raison de le faire. Il faut quand même savoir que le magazine de prépub, les gens connaissent surtout ça parce que c'est ce qui paraît en premier, mais ça représente 5 % du chiffre d'affaires de la collection, c'est minuscule. Ce qui compte, c'est les séries, les albums. Et le magazine, dès le début, a été conçu comme un moyen de promotion et de marketing pour promouvoir les séries. C'est une vitrine en fait. C'est pas comme, par exemple, à l'époque Tonkam, Pika, qui lancent un magazine de prépub, alors qu'ils ont déjà plein de collections et de séries qui marchent. Ils lancent un magazine de prépub qui leur coûte très cher, beaucoup trop cher, qu'ils pensaient être un modèle rentable comme n'importe quel album. Moi ça me paraît impossible. Nous, on l'a fait vraiment dans l'optique « On va lancer une collection. Avant, on va donner un avant-goût dans un magazine qui doit jouer un rôle marketing et qui est financé pour ça. Donc on doit pas le vendre cher, etc. ». Et il joue son rôle comme on l'avait prévu. Il faut aussi comprendre une chose, c'est que pour en vendre le même nombre, il nous coûte beaucoup moins cher. Ca coûte moins cher d'avoir un contrat avec un auteur à qui on paie une licence que d'acheter des droits supplémentaires à des Japonais pour faire un magazine de prépublication. On paie un album et on peut intégrer une partie du coût à la production du magazine. On en vend pas plus que le Shonen Magazine de Pika, c'est évident. La seule différence, c'est qu'il n'a pas le même rôle, pas les mêmes objectifs et qu'il nous coûte moins cher. Donc il remplit l'objectif qu'on lui a donné.
Vous avez décidé de faire des collections avec des noms japonais. Pourquoi les appellations Shônen, Seinen... ?
Parce qu'on est dans un pays où la communication et le marketing sont rois, et si j'avais appelé ça "grands garçons", ça n'aurait pas marché. Si j'avais appelé ça "BD", ni les lecteurs de BD, ni les lecteurs de manga n'auraient acheté. D'ailleurs les libraires les classent dans les manga, et les mots "shônen", "seinen", etc. sont maintenant intégrés dans la culture. Les lecteurs de manga comprennent tout de suite de quoi il s'agit et personne ne se pose la question. C'est vraiment une question de communication.
Qu'est-ce que vous avez envie de dire justement, aux gens qui trouvent que les appellations Shônen et Seinen ne vont pas du tout pour quelque chose qui n'est pas fait par des Japonais ?
Je crois que c'est un débat de puristes, des types qui se prennent la tête pour savoir si c'est un manga, si c'est pas un manga. Honnêtement, du moment que l'album plaît aux lecteurs, que ça passionne les gens, on s'en fiche un peu.
C'est pour que ce soit bien classé [dans les librairies] ?
Voilà. Les puristes doivent comprendre une chose, c'est qu'avant que le bouquin arrive entre les mains du lecteur, il passe par un diffuseur et un libraire. Aujourd'hui, le libraire comprend les mots "manga", "shônen", "seinen", donc il peut le classer, et le bouquin se retrouve à l'endroit où il est censé être. C'est aussi simple que ça. Maintenant, d'un point de vue puriste, bien sûr, ils ont tout à fait raison, mais c'est pas le plus important.
Merci beaucoup d'avoir bien voulu nous accorder un peu de temps.