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Obumbratrice : Invocation

« A mort, A mort! » entendis-je. Les yeux bandés, les deux mains attachées, je ne savais que penser. La peur, qui m'avait déjà envahi auparavant, devint à ce moment plus intense. Dans ma tête, tout se bousculait, des images défilaient. J'étais dans cette charrette qui avait traversé toute la ville et qui, à ce moment précis, m'amenait à ma mort. Je sentais une présence, d'un esprit, invisible à l'oeil des mortels. Mais la nature de cette intuition m'était inconnue. Non, au fait... Je savais, mais je ne voulais pas savoir.

Soudain, la charrette s'arrêta et je retrouvai la vue. Une foule immense m'apparut. Tous habillés de blanc, ils criaient, hurlaient et juraient. Pourquoi tant de haine envers moi ? Etait-ce donc à cause de ce livre ? Ce maudit livre ? Au fait, vous ai-je raconté comment cela s'était-il passé ? Non je ne crois pas...

Tout commença ce matin d'automne, j'étais en train de me prélasser dans mon jardin. Il faisait un temps superbe, le soleil rayonnait et l'air était frais. Que de plaisir à rester ainsi à ne rien faire ! Je vivais tellement bien à vrai dire, dans un immense manoir, non loin d'une forêt dans laquelle, il était bon de se promener. Mon immense jardin, mille fleuri de toute part, attisait la jalousie de pas mal de mes voisins.
Tout cela, je le devais à mon père, le richissime Félix Kuppers, avocat respecté de tous, qui s'était maintes fois illustré dans les affaires les plus compliquées. Malheureusement, sa santé quant à elle n'était pas brillante. Une grave maladie du coeur en vint à bout. Je me rappelle encore du jour de sa mort... Ma mère, qui n'avait jamais cessé d'avoir des amants n'eut même pas une seule larme. C'est à ce moment que je me rendis compte que la vie n'était pas aussi belle qu'elle ne paraissait.
Après cela, grâce à notre héritage, nous pûmes vivre pleinement, comme nous l'entendions, à notre guise. Mais en devoir d'hommes riches, je dus quand même faire une grande scolarité qui, en fin de compte, malgré la difficulté et le travail requis, me parut plus étant un jeu que de vraies études. Oui, vu que j'étais un passionné d'histoire, j'avais toujours eu une grande facilité à l'école, puisqu'elle y était spécialisée. J'étais la fierté de notre université. La mort de mon père, avait, comme je l'ai dit, changé ma vision des choses et j'avais su qu'il fallait travailler pour réussir et c'est ce que je fis. Pourtant, je me rendis compte que j'étais très doué du moment où ce j'apprenais m'intéressait. C'est pourquoi, je pus faire beaucoup d'activités extrascolaires dont des recherches poussées dans le démonisme. Et c'est ainsi que j'entendis parler du « Theurgia Goetia » un ancien livre qui relaterait les histoires des démons de toutes sortes, mais qui, surtout, offrirait la possibilité de les ramener à la vie, les invoquer. Bien sûr, je ne pris pas cela au sérieux. Et pourtant...

Comme je l'ai dit, je me reposais dans le jardin quand mon servant vint et m'annonça que mon meilleur ami, Florian Baumann m'avait écrit. Cette lettre disait qu'il s'était rendu à une vieille forteresse, datant du neuvième siècle et que dans celle-ci, il avait trouvé ce fameux livre, le Theurgia Goetia. Je notai quelque chose d'étrange dans cette lettre, le ton employé, la tournure des phrases... C'était réellement inhabituel venant de sa part. C'était très froid, il n'y avait que quelques lignes, qui se résumaient à me demander d'aller le voir le plus vite possible. Et c'est ce que je fis. Le lendemain, je pris le train pour me rendre à Albstadt, là où habitait Florian.

Florian habitait une maison isolée dans la forêt, une très belle maison. Pourtant, le soir de mon arrivée, elle m'eut l'air plus glauque qu'elle ne l'avait été auparavant. Je fus pourtant bien accueilli.
Florian était relativement grand et assez robuste aussi. Il avait un crâne dégarni, un long visage et de saillantes pommettes. Ce soir-là, il s'était accoutré d'une toge et cela me surprit au plus haut point. Et contrairement à son habitude, il me prit dans ses bras en guise de salut et il me dit
« Tu vas voir, ce sera la meilleure expérience de ta vie ! » Quelle expérience ? me suis-je dit. Je ne savais pas encore ce qui m'attendait.

A ce moment, je m'interrogeai vraiment sur la nature de mon invitation. Etait-ce juste pour me conter son aventure ? Pour me parler de sa découverte ? Ou pour quelque chose d'autre de plus étrange...

Il me proposa un thé mais je refusai. J'étais très attiré par ce livre. Je voulais savoir à quoi m'attendre. Donc, il me conduisit jusqu'à son bureau, une très grande salle, qui avait plutôt l'allure d'un salon.

Il me demanda de m'asseoir autour d'une table. Puis, il prit la parole: « Depuis fort longtemps, les hommes ont cru en l'existence des démons, plus ou moins tous malfaisants... Mais nous, hommes modernes, avons toujours ignoré cela, nous avons pensé que ce n'était que de la superstition... Mais aujourd'hui, grâce à ce livre, je vais te prouver le contraire mon ami ! »
Consternation. Etait-ce bien là mon meilleur ami ? Etait-ce bien là mon ami d'enfance ?

« Tu as perdu la tête mon cher Florian ? Crois-tu réellement pouvoir invoquer des démons à l'aide de ce livre ? Ce ne sont que de vieilles croyances ! » lançai-je.

« Pendant longtemps, c'est ce que je crus aussi. Mais ce livre a effectivement des pouvoirs qui dépassent notre entendement. »

« As-tu des preuves quelconques ? »

« Comme tu le sais, je me suis rendu en Groenland, en quête de ce que nous appelons communément le Necronomicon, ou plus précisément le livre des morts. Car d'après les archives, la dernière personne qui aurait détenu l'original était un roi, jadis puissant, mais qui disparut mystérieusement au milieu du huitième siècle. Mais je trouvai l'emplacement de son château ou devrais-je plutôt dire forteresse. Premièrement, laisse-moi te dire que ce monument était vraiment étrange, le voir donnait le vertige, une peur inconnue. Cette image me hante encore. Cet immense palais, érigé en haut d'une très haute et abrupte falaise. Le brouillard recouvrant tout cela d'un ton mêlé de mélancolie et d'horreur. Mais autour de cette bâtisse sombre comme la mort elle-même, la terre aussi blanche que la pureté du Seigneur ! Fascinant, c'était fascinant !
Il y avait aussi une grande bibliothèque. Pourtant, je n'y ai guère trouvé le Necronomicon, mais quelque chose de beaucoup plus intéressant, le Theurgia Goetia ! Oui, ce grimoire existait vraiment. Ouvrage ultime de la démonologie, on dit qu'il est écrit par le roi Salomon lui-même ! »

« En supposant que ce que ce que tu as trouvé dans ces ruines soit vraiment le Theurgia Goetia, de quel droit dis-tu que tu as la preuve concrète que les démons existent ? Je suis tout à fait d'accord quant à l'importance de ta découverte. Mais comment vas-tu démontrer tes avances ? »

« Niih... Ton scepticisme ne me surprend guère. Tu ne changeras donc jamais. Mais bon, l'homme ne croit que ce qu'il voit non ? Soit, alors je vais procéder au rituel... »

« Un rituel ? Tu veux dire que tu m'as invité pour que j'assiste à la résurrection d'un démon, et ce grâce à ce livre ? »

« Oui ! Tu ne me crois pas hein ? Ecoute mes dires et tremble devant la puissance du démon Uhbaddun! »

Ses propos me choquèrent. Puis, il commença à prononcer des mots clés. C'est véritablement à ce moment que je m'aperçus à quel point son voyage l'avait bouleversé. Il était devenu fou.

Lorsqu'il se tut, il régnait un silence de mort. Je le regardai dans les yeux. Pendant dix minutes au moins, on resta immobiles, muets, les yeux de l'un plongés dans ceux de l'autre. Il me fixa d'un air concentré et tout doucement, petit à petit, il esquissa un sourire.

« Le démon est quelque part dans la forêt ! Viens, suis-moi ! » Et il m'emmena dans la forêt avec lui.

Je trouvai cela si comique, mon ami avait perdu la raison et croyait que ces quelques syllabes avaient réveillé un monstre. On s'aventura loin dans la forêt. Le temps était brumeux. On ne voyait rien de ce qui avait devant nous. Je lui demandai d'arrêter d'halluciner et lui dis que les démons n'existaient pas. Soudain, il s'immobilisa et me regarda d'un air horrifié.

« TU ENTENDS ?! TU ENTENDS ? C'EST LUI ! » me dit-il.

Effectivement, un rire sarcastique surgit de nulle part. J'en sursautai.

« Mais, qu'est-ce ? » lui demandai-je.

« LE DEMON... »

Puis, j'entendis des pas, des pas de cheval...

« Ecoute, c'est notre mort qui s'approche, qui galope à toute vitesse ! »

« Arrête ! Comment est-ce possible ? Cela ne m'amuse plus ! »

« Tu n'aimes donc pas t'amuser avec Uhbaddun, ou plutôt la Mort ? »

Inopinément, derrière Florian, entre les multitudes arbres, malgré l'épais brouillard, je discernai une silhouette, très vague et floue. Je devinai une monture et un homme armé d'une faux sur cette dernière. J'en fus terrifié, car c'était la Faucheuse ! Aucun son ne put sortir de ma bouche, j'étais muet de peur. L'animal était monstrueux, très sombre, ses yeux, ses ganaches, sa forte encolure, sa taille impressionnante, tout me fit frissonner. La cavalière, quant à elle, portait un manteau en lambeau. Sa partie orbito-nasale sortait de sa peau grise. Ses maxillaires avaient des allures de mandibules. Mais elle n'avait pas d'oeil, car la Mort frappait aveuglément.
Elle nous passa devant en balayant avec sa faux qui emporta la tête de Florian. Un flot de sang déferla sur mon visage. Le démon éclata de rire alors que j'hurlai d'horreur. Il ne fallait jamais plaisanter avec la Mort...
Je m'enfuis, je courus jusqu'à l'épuisement. Durant ma course, je l'entendais toujours. Un galop sourd, comme si cela se produisait dans ma tête. Et le souffle de l'étalon... Tout près...
Pourquoi n'avais-je pas réussi à prévenir Florian ? Je m'en veux tellement maintenant...

Je m'arrêtai vers une maison bien rustique. J'allais frapper à la porte pour demander de l'aide quand je perdis tout à-coup connaissance.

Et je me réveillai dans cette charrette. Et voilà que maintenant, j'attisais la colère de tout ce monde. Des fanatiques, des fanatiques de Dieu qui pensaient que j'avais tué Florian, qui me jugeaient coupable...

J'étais dans le centre de Albstadt. Un homme, vêtu d'une tunique blanche vint vers moi et me demanda de le suivre et j'obéis. Allais-je mourir ? Mais alors, pourquoi la Faucheuse ne m'avait pas emporté avec Florian ?


L'homme m'emmena vers un arbre et là, je vis cette corde, cette corde qui devait bientôt se trouver autour de mon cou. Et c'est ce que mon bourreau fit.

J'entendis de nouveau ce galop, ce souffle. Et au loin, je vis une lumière, c'était la lame de la faux qui venait me chercher... Les larmes me montèrent aux yeux, car j'allais payer pour la Mort. La Mort voulait me prendre, elle s'était arrangée pour m'avoir...

L'Ecorché

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